23 août 2021
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Le déploiement de la production de batteries par des acteurs européens peut-il être freiné par l’accès à la technologie ?
Il est indéniable que le marché des cellules Li-ion s’est principalement développé en Asie et que les plus gros producteurs sont chinois, japonais ou coréens. Or la production de batteries va monter en puissance et progresser de façon exponentielle en Europe dans les prochaines années.
Dans ce nouveau contexte, les nouveaux producteurs européens, comme Verkor, auront-ils la marge de manœuvre nécessaire face aux géants asiatiques ? Pourront-ils vraiment proposer une technologie à grande échelle, alors que les savoir-faire et la propriété intellectuelle est principalement en Asie ? Nous vous proposons ici de faire un état des lieux de la propriété intellectuelle autour des sujets de production de cellules Li-ion.
Qu’est-ce que la propriété intellectuelle ?
Deux principales sous-divisions : la propriété industrielle, qui regroupe les notions de brevets et de savoir-faire, et la propriété artistique et littéraire. Dans le cas des batteries, les principaux sujets sont sur la propriété industrielle même si dans le cas précis de digitalisation (droit des logiciels et de base de données), des notions de propriétés littéraires peuvent intervenir.
Dans ce contexte, est-il possible de produire des cellules Li-ion en Europe ? Quelles sont les futures étapes pour les producteurs européens vis-à-vis de ces questions ?
Commençons par les différentes stratégies de valorisation d’une entreprise vis-à-vis de sa propriété intellectuelle, et plus particulièrement, intéressons-nous à la propriété industrielle. Prenons le cas d’une équipe R&D dans une entreprise qui produit des boissons. Elle met au point une nouvelle recette de boisson pétillante, et propose un nouveau procédé, pour apporter du pétillant à la formule. Ce système est nouveau, innovant et peut faire l’objet d’un brevet.
Prenons ensuite le cas d’une équipe R&D qui a développé un nouveau prototype permettant de déplier une tente en 2 secondes. L’invention repose sur des arceaux disposés d’une façon nouvelle et innovante. N’importe qui achetant le produit sera en mesure ensuite de créer sa tente en reproduisant le modèle.
Dans le premier cas, l’innovation est une recette interne à l’entreprise. La breveter est en fait une révélation d’un secret d’entreprise. Dans le deuxième cas, l’innovation est visible et donc facilement copiable. La stratégie de valorisation de ces deux idées sera donc différente. Le deuxième cas est plus propice à un dépôt de brevet.
Au moment de choisir la stratégie de valorisation d’une invention, il convient d’analyser avec attention la situation. Dans le domaine de la production des cellules Li-ion, tout n’est pas breveté, car certains producteurs ont souhaité, comme dans le premier cas, garder certains procédés confidentiels. Un futur producteur pourra donc développer son savoir-faire en interne, tout en étudiant avec attention l’état de l’art, et la liste des brevets en applications sur le territoire Européen.
Qu’est-ce qu’un brevet ?
Un brevet est un droit négatif, ou droit d’interdire : il empêche un tiers d’utiliser le contenu du brevet que vous déposez. Ce n’est donc pas une autorisation pour l’inventeur de commercialiser sa solution. Exemple très concret : une société X détient un brevet [A+B]. Une deuxième société Y démontre que [A+B+C] est plus performant. [A+B] étant protégé par un brevet, la société Y devra négocier l’utilisation d’[A+B] pour exploiter [A+B+C].
Il est important de comprendre que déposer un brevet n’implique pas forcément que le brevet sera délivré. En effet, pour être délivré, un brevet doit répondre à plusieurs critères : nouveauté, inventivité et applicabilité industrielle. Pour savoir si un brevet a été délivré ou pas, il suffit de regarder la dernière lettre de sa référence : « A » signifie que c’est une demande (un dépôt) alors que « B » signifie qu’il a été délivré. La délivrance intervient souvent plusieurs années après le dépôt, mais la protection aura effet à la date de dépôt.
Un brevet est constitué d’une description et d’« exigences ». Ce sont les « exigences » qui définissent l’objet de la protection. Dans le domaine des batteries, il existe plusieurs types de brevets, eux-mêmes sous-catégorisés dans des familles avec des codes distinctifs. Ainsi, la classe H01M4/366 regroupe les inventions relatives à la composition d’un des matériaux permettant le stockage des ions Li+. La classe H01M4/131, quant à elle, s’intéresse à des procédés permettant l’obtention d’électrodes contenant le matériau évoqué plus tôt. Alors que la première classe sera de l’amont par rapport au producteur de cellules (il se fournit auprès d’industriels de la chimie produisant ces matériaux), la façon de produire des électrodes est quant à elle bien une thématique couverte par son activité. Quand bien même, l’achat d’un matériau lui-même contrefacteur placerait la cellule qu’il produit également en contrefaçon ! Une multitude d’autres sous-catégories existent qui couvrent toutes les briques technologiques inclues dans une batterie ainsi que les manières de les produire, voire de les utiliser.
C’est donc un domaine très complexe, et la production de batteries est couverte par des dizaines de milliers de brevets à travers le monde. Alors, comment savoir lesquels présentent un frein de commercialisation pour les futurs acteurs européens des batteries Li-ion ?
Zones géographiques, et vie du brevet
Une notion à garder en tête concerne la zone d’application du brevet. En effet, un brevet a une certaine portée : il ne protège qu’un territoire donné, la plupart du temps un territoire national. Des milliers de brevets ne sont valables qu’en Chine par exemple. Il est donc important de considérer les zones concernées. De plus, certaines entreprises cessent de payer les abonnements, et le brevet perd donc son action d’interdiction. C’est certes peu souvent le cas pour les brevets stratégiques, mais cela rend la situation d’autant plus complexe, d’autant que la « durée de vie » d’un brevet est de 20 ans. En d’autres termes, le déposant pourra pendant 20 ans payer des redevances pour que le brevet reste en ligne. Passé ce délai, le brevet tombe dans le domaine public.
En conclusion, les nouveaux acteurs feront face à une vérification approfondie des producteurs historiques. Il n’en reste pas moins que l’élaboration d’une cartographie précise des brevets en application sur le territoire et leur thématique exacte permettra de déterminer la liberté d’exploitation. L’établissement de partenariats stratégiques ou de licences est également une option. Il existe donc bien une grande marge de manœuvre permettant aux producteurs européens de développer leur propre technologie de batteries Lithium-Ion.